Burn out des étudiants en santé : de l'observation à l'action
Sophie Conrard
- 29 novembre 2019
Lors du colloque annuel de l'association Soins aux professionnels en santé (SPS), le 8 novembre dernier à Paris, une table ronde était consacrée aux étudiants, qui commencent à mettre en place des actions pour prévenir les difficultés que traversent certains et la souffrance liées à leurs conditions d'études et de stages.
Introduisant cette table ronde, Florence Robin, vice-présidente de SPS, a rappelé que les études supérieures engendraient souvent "un stress chronique chez les étudiants, à une période où leur cerveau est en plein développement. Or le stress cause des dégâts sur le cerveau. C'est souvent à cet âge-là qu'apparaissent certaines maladies psychiatriques comme la bipôlarité". Il est regrettable que le recours aux soins psychiatriques soit stigmatisé car cela n'incite pas les jeunes à demander de l'aide.
Marianne Faddoul, qui représente les étudiants à la Cnam, a signalé que 2/3 des étudiants en santé souffraient d'anxiété, soit 230 000 jeunes, "ce qui représente la ville de Bordeaux", a-t-elle insisté. Elle a par ailleurs pointé le rôle du triptyque addiction/nutrition/santé mentale.
Les étudiants vont mal
La Fnesi a mené en 2017 une enquête sur le mal-être des étudiants infirmiers, dont Félix Ledoux a présenté les principaux résultats : "1 étudiant sur 2 est mal dans sa peau. 40 % n'ont pas le temps de faire du sport. 75 % se sentent épuisés physiquement, et 80 % stressés en permanence, à la fois à l'école et en stage." Forte de ce constat, la Fnesi a réalisé différents projets tels que la Semaine du bien-être, ou encore une charte d'engagement signée avec la FHF pour que les étudiants en soins infirmiers soient mieux accueillis lors de leurs stages.
Victoria Astezan, présidente de l'Anesf, et Félix Ledoux, président de la Fnesi. |
L'Association nationale des étudiantes sages-femmes (Anesf) a elle aussi mené une enquête, en 2018, sur le bien-être des étudiantes en maïeutique. Victoria Astezan, sa présidente, a lu une lettre rédigée par une étudiante révélant combien elle a souffert durant sa formation initiale, pour de multiples raisons. Elle a évoqué le "gâchis humain de la Paces", et signalé que sur une promotion de 38 au départ, seules 21 ont été diplômées à la fin. "Pourquoi un tel taux d'abandon ?", s'est-elle interrogée. 60 % des étudiantes interrogées ont répondu au questionnaire : "Elles avaient très envie de s'exprimer", analyse Victoria Astezan. "Il y avait trop de non-dits, nous aurions eu besoin de nous exprimer à l'école, mais on ne nous l'a pas permis. Nous n'avons pas osé, par peur des sanctions", écrit l'ancienne étudiante.
Parmi les personnes qui appellent la plateforme de SPS (0 805 23 23 36, appel gratuit 24h/24 et 7j/7), 5 % sont des étudiants en santé. |
En stage, ce n'est guère mieux : "Même les funérailles d'un membre de la famille n'est pas un motif suffisant pour s'absenter un jour sans devoir le rattraper !" Comble de l'absurde : on leur laisse entendre que "l'erreur est inacceptable" alors qu'elles sont "encore étudiantes en formation". La présidente de l'Anesf n'a pas hésité à parler de "maltraitance". "Souvent, il n'y a aucun référent formé à la pédagogie : pourquoi ?"
À l'issue de cette enquête, l'Anesf a mis en place des groupes de travail pour "accompagner de façon bienveillante" les étudiantes.
Mal préparés à la vie active
L'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf) a elle aussi mené une enquête sur la santé mentale des étudiants de la filière. Résultat : "65 % sont stressés, 50 % se déclarent même en dépression, disent manquer de sommeil et de temps pour leurs loisirs. 20 % sont sous anti-dépresseurs. Beaucoup consomment des médicaments, voire des drogues, qu'ils arrivent à se procurer facilement étant donné leur cursus", a énuméré Léa de Gunten, vice-présidente de l'Anepf. Au final, un quart de ces étudiants "ne se sentent pas prêts à entrer dans la vie active, en particulier à être confrontés à un patient qui va mourir ou gravement malade".
Léa de Gunten, vice-présidente de l'Anepf en charge de la santé publique. |
Hadrien Thomas, président de la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie (Fnek), a insisté sur les difficultés spécifiques aux étudiants de sa filière. "Nous sommes beaucoup confrontés à la douleur et à la maladie chronique, ce qui ne va pas de soi." Une enquête menée cette année a révélé que la moitié des étudiants en kinésithérapie se sont endettés pour payer les frais de scolarité et se loger, en particulier à Paris, "ce qui a un impact sur leur qualité de vie".
Un quart ont des troubles de l'anxiété, un tiers souffrent d'isolement social, la moitié ont vu leur temps de loisirs diminuer de façon significative, un quart a le sentiment que sa santé physique s'est dégradée. En stage, la moitié des filles disent avoir souffert de harcèlement sexiste, voire sexuel.
Hadrien Thomas, président de la Fnek. |
Les étudiants se plaignent aussi de ne pas pouvoir bénéficier des mêmes services universitaires que les autres.
Réfléchissant à des solutions, le Dr Éric Henry, président de SPS, a suggéré que les professionnels de santé qui n'ont plus d'enfant à la maison hébergent des étudiants, ce qui leur allègerait leur charge de loyer et surtout, leur permettrait de bénéficier d'une sorte de compagnonnage.
"Comment les professionnels de santé en exercice pourraient-ils s'occuper des étudiants avec bienveillance alors qu'ils sont eux-mêmes en souffrance ?", s'est interrogée Corinne Isnard-Bagnis, néphrologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), soulignant que "des études montrent que le score d'empathie des étudiants en médecine baisse au fil des années".
"Il est difficile d'intéresser les soignants à leur propre bien-être… Il est grand temps de remettre le soin au cœur du système. Être là pour l'autre, c'est la base de nos métiers", a-t-elle analysé.
Plus d'infos- Pour revivre ce colloque : http://asso-sps.fr/colloque.html |
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