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«Notre première préoccupation a été de mettre en sécurité les patients et les professionnels»

Sophie Conrard
- 14 avril 2020

L'épidémie de Covid-19 et le confinement ont bouleversé l'organisation et le fonctionnement de la FFMKR. Entretien avec Sébastien Guérard, son président.



Kiné actualité : Vous qui êtes un homme de terrain, comment vivez-vous cette crise ?
Je suis surtout un homme de contact ! C'est cela le plus difficile : voir très peu de gens et ne plus pouvoir toucher personne. Sinon, je ne vois pas le temps passer. En temps normal, mes journées sont chargées aussi, mais plus organisées. Mon planning est calé 1 mois à l'avance, à quelques exceptions près. Ces temps-ci, il m'arrive de démarrer en n'ayant rien de prévu, et d'enchaîner les appels et les réunions téléphoniques jusqu'à 23h.

Ce qui a changé, c'est que je ne fais plus d'allers-retours entre Perpignan et Paris. Je reste confiné chez moi, comme tout le monde.

J'imagine que votre cabinet est fermé ?
J'ai cessé d'y travailler dès le début du confinement, et mes collègues assurent les soins prioritaires et non reportables auprès de nos patients. Je me consacre pleinement à la Fédération et à la défense de la profession.

Comment travaillez-vous ?
Nous essayons de gérer la crise. J'ai des contacts quotidiens avec le ministère de la Santé, les présidents de syndicats des autres professions de santé (médecins, infirmiers, podologues, orthophonistes...), et bien sûr avec mon bureau et les élus de la Fédération.

Les secrétaires généraux préparent les dossiers de fond, après quoi il faut faire du lobbying pour les faire avancer. Le télésoin, par exemple : nous avons senti dès mi-mars que le confinement allait durer au moins 6 semaines (ce sera sans doute plus), or il n'est pas possible de laisser certains patients sans soins aussi longtemps. Il ne manque plus qu'un décret pour que le télésoin soit opérationnel.

Aujourd'hui, nous réfléchissons à la manière dont nous pourrons rouvrir nos cabinets une fois le confinement levé. Dans quelles conditions ? Avec quelle organisation ?... Il est certain que nous ne pourrons pas nous remettre à travailler comme nous le faisions avant. En tout cas, pas tout de suite. Le déconfinement sera progressif. Il faudra séparer les patients covid des autres, faire en sorte qu'ils ne se croisent pas, travailler en réseau – encore plus que d'habitude. Il faudra sans doute créer des équipes qui effectueront les soins à domicile.

Sur quels autres dossiers de fond travaillez-vous en ce moment ?
Nous travaillons avec des experts comptables sur les modalités de mise en œuvre des indemnités qui seront versées par l'assurance maladie. Selon le type d'activité et le type de cabinet, les confrères ne recevront pas la même chose. Kinésithérapeute isolé, SCM, SCP, SELARL... Pour chaque cas de figure, il faudra évaluer les besoins de compensation financière. Et ils ne seront pas les mêmes pour les titulaires, les assistants, sans parler des remplaçants, qui sont sans doute dans la situation la plus précaire.

Par ailleurs, nous cherchons des solutions pour pouvoir reprendre les soins auprès des patients chroniques et en Ehpad. Nous travaillons avec le ministère de la Santé sur ce sujet. Je m'étonne que certains cherchent à recruter des bénévoles ou des aidants pour soutenir le personnel, au lieu de faire appel à nous ! Avant la crise du covid-19, il est vrai que certains établissements recevaient la visite de 5 ou 10 kinésithérapeutes différents, pour respecter le libre choix des patients. Pendant la crise, il me semble qu'il serait raisonnable d'en choisir 1 ou 2, pour limiter les risques de contamination, et de les laisser prodiguer les soins nécessaires aux patients !

Je suis conscient que dans certains territoires, la principale problématique des Ehpad est de trouver comment gérer les décès des résidents, beaucoup plus nombreux que d'habitude. Mais je ne voudrais pas qu'on oublie ces patients dont l'état se détériore lentement mais sûrement parce qu'ils ne reçoivent plus aucun soins fonctionnels : l’abandon de ces patients est une véritable bombe à retardement. Cela augmente considérablement les risques de chutes et toutes les séquelles associées. Ils ont des escarres. Si on n'intervient pas rapidement, on n'arrivera plus à rattraper les dégâts.

Qu'est-ce qui a changé dans l'organisation interne de la Fédération ?
Habituellement, la transmission de l'information est très pyramidale : elle part du bureau vers les conseillers fédéraux, puis les présidents départementaux, puis la base. Depuis 3 semaines, nous avons raccourci ce circuit afin de tenir informés tous les kinésithérapeutes au jour le jour. En raison de la crise et du degré d'urgence de certains sujets, nous envoyons beaucoup plus de news que d'habitude, par exemple, et elles sont adressées d'emblée à tous nos adhérents. Nous n'avons malheureusement pas le temps d'attendre que les élus soient informés avant d'informer la base.

Comment entretenez-vous le contact avec vos adhérents à distance ?
Les adhérents de base se tournent en premier lieu vers les présidents de départements, avec qui je suis moi-même en contact étroit. Nous avons encore plus d'échanges (surtout par mails) que d'habitude. Ce qui est difficile, c'est qu'en raison de l'urgence de la situation, je n'ai pas le temps de tout expliquer en détails ni d'argumenter avec nos adhérents, comme je le souhaiterais.

Et avec vos partenaires institutionnels, comment fonctionnez-vous ?
Nous opérons un lobbying incessant. J'échange beaucoup de textos avec les conseillers d'Olivier Véran, notre ministre de la Santé, ainsi qu’avec ses services, la DGS, la DGOS, la DSS… Pour revenir à l’exemple du télésoin, une fois le principe acté et validé par le ministère, nous nous sommes tournés vers l’assurance maladie pour la prise en charge des actes, etc. Nous travaillons ces sujets de concert avec l’autre syndicat représentatif et le CNOMK.

Et ceux des autres professions de santé ?
Oui, quotidiennement. Cela me tenait à cœur avant la crise, et c'est devenu indispensable. Au sein de la FFPS, par exemple, nous avons mis en place un groupe de travail pour réfléchir au parcours de soins des patients post-covid : qui dois faire quoi ? À quel moment ? Faut-il exposer 3 ou 4 professionnels, ou un seul ?... Nous élaborons des propositions que nous transmettrons à la HAS, la Cnam et la DGS.

Des liens interprofessionnels (en particulier avec le CNPS) s'étaient renoués avant la crise, et celle-ci a accéléré le processus. Nous échangeons toutes les semaines.

Comment anticipez-vous le « retour à la normale », après la crise ?
Je ne suis pas sûr que tout recommencera « comme avant ». En tout cas, pas tout de suite. Nous y réfléchissons depuis début mars, en réalité. Récemment, nous avons saisi la HAS pour qu'elle propose des réponses rapides aux questions que nous nous posons au sujet des patients post-covid. Ceux qui sortent de réanimation sont très abîmés, nous les retrouvons à domicile dans des conditions très particulières. En temps normal, ils ne seraient sans doute pas sortis si vite de l'hôpital.

Ce qui est difficile avec cette maladie, c'est que nous en apprenons chaque jour. Nous avons découvert cette semaine des patients qui ont des troubles neurologiques associés, en raison d'une anoxie cérébrale (hémiparésie, etc.).

Il y a aussi des jeunes de 35 ans victimes d'embolies pulmonaires, avec des séquelles à gérer, des troubles de la déglutition suite aux intubations. Nous avons besoin que la HAS nous aide, au jour le jour, à actualiser nos connaissances sur la maladie.

La Fédération est-elle souvent sollicitée par des kinésithérapeutes inquiets de leur situation financière ?
Oui, et c'est bien normal. Mais nous nous efforçons de ne pas céder à la pression du terrain. Lorsque la crise s'est déclarée, notre première préoccupation a été de mettre en sécurité la population ainsi que les professionnels de santé. La deuxième est d'anticiper la reprise de notre activité, lorsque ce sera possible. Pour cela, nous proposons des solutions, comme le télésoin, qui sera bientôt possible en bonne et due forme (et donc rémunéré).

Nous n'avons pas perdu de vue les préoccupations financières de nos confrères. Nous y travaillons aussi, en parallèle, notamment avec Bercy, dont nous avons obtenu plusieurs mesures (suspension des charges, etc.). Grâce à notre lobbying, on est passé de 70 % de pertes à 50 %, et d'un BNC de 40 000 € à 60 000 €. Ce n'est pas rien !

Notre principal objectif, c'est que la population retrouve après la crise une offre de soins aussi importante qu'avant. Nous y travaillons avec Nicolas Revel, directeur de la Cnam, afin de préserver au maximum les professionnels libéraux de santé, afin de mettre en place un dispositif d’aide qui garantira à chaque professionnel de pouvoir maintenir son activité libérale et survivre économiquement à cette crise.

Nous nous sommes par ailleurs tournés vers nos organismes sociaux, comme la Carpimko, afin d'essayer d'amortir l'onde de choc au maximum, avec ce qu'elle peut nous apporter, tout en préservant notre régime de retraite. Il faudra trouver une solution équilibrée n’impactant pas les générations suivantes.

Les étudiants de 4e année craignent de ne pas pouvoir s'installer cet été comme ils l'avaient prévu. Quel message voudriez-vous leur adresser ?
Je comprends leur inquiétude. Cet été, ils devront faire le dos rond. Mais après toute crise, on observe un rebond. Celle-ci va sans doute entraîner des changements durables de nos mentalités et nos modes d'exercice, mais je ne doute pas que l'avenir sera meilleur pour toutes les professions de santé.

Dans l'immédiat, je m'inquiète pour les remplaçants, qui voient les contrats prévus entre mars et juin annulés les uns après les autres. Cet été, les confrères titulaires partiront moins en vacances et ne feront pas appel à eux. Ils resteront 5 mois sans travail.

Je vois 2 alternatives : le salariat, en attendant de pouvoir exercer en libéral. Il y a de nombreux postes disponibles. Et les zones sous-denses, où le travail ne manque pas et où des aides à l'installation existent. Qui sait : cette expérience s'avèrera peut-être positive, et donnera à certains envie de rester dans des endroits où ils n'auraient pas imaginé s'installer ?

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