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Comment les professionnels du secteur hospitalier accueillent l’annonce du plan Ségur de la santé

Alexandra Picard
- 20 mai 2020

Le 17 mai, le ministre de la Santé et des Solidarités Olivier Véran a annoncé au Journal du Dimanche (JDD) qu’un plan Ségur de la santé allait voir le jour. Les partenaires sociaux et les collectifs hospitaliers seront réunis le 25 mai pour en discuter. Revalorisation des salaires et temps de travail repensé comptent parmi les objectifs de ce plan.



Nouveau coup d’épée dans l’eau, effet d’annonce dû à la crise de la Covid-19 ou réelle volonté du gouvernement de donner au secteur hospitalier en souffrance un nouveau souffle ? Le 25 mai donnera le tempo.

En préambule des propositions concrètes qui doivent être formulées prochainement, le ministre de la Santé et des Solidarités a dévoilé le 17 mai au JDD quelques axes de ce futur plan. Une des propositions majeures concernera les salaires. Olivier Véran a expliqué "souhaiter rapidement atteindre un niveau de rémunération correspondant à la moyenne européenne" ; ce qui répondrait aux attentes exprimées par les syndicats hospitaliers et le Collectif inter-hôpitaux (CIH) depuis plusieurs mois. Le ministre reconnaît que "si les personnels soignants sont des acteurs fondamentaux, ils sont depuis toujours mal rémunérés", annonçant "qu’il faut une augmentation de ceux-ci au-delà des primes". Il a également pointé plusieurs leviers pour favoriser les carrières hospitalières, par exemple "permettre aux salariés qui souhaitent travailler davantage de le faire pour qu’ils puissent augmenter leur rémunération en conséquence", ajoutant "qu’il est peut-être nécessaire de revoir le cadre d’organisation du temps de travail à l’hôpital". Autres actions suggérées, celles de "valoriser le travail collectif" et "la montée des compétences des soignants".

Les professions du secteur hospitalier restent circonspectes
Ces annonces qui ont suscité de nombreuses réactions dans le secteur hospitalier. Sur Europe 1, Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers craint qu’"il s’agissent d’un énième plan sans impact réel sur les salaires des personnels hospitaliers. On s’est dit : et de 3 !, puisqu’il y a eu le grand plan Ma santé 2022, le grand plan hôpital de novembre dernier annoncé par le Premier ministre, et puis maintenant le Ségur de la santé. Les 2 précédents plans ne se sont pas traduits en euros. J’espère que ce troisième plan sera plus constructif avec des conséquences sur le terrain".

Dans Ouest France, Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France considère cette décision comme "un moyen pour calmer une contestation que le gouvernement sent monter en puissance dans les hôpitaux". Car, selon lui, "ils savent qu’une bombe sociale risque d’exploser dans ces lieux qui sont aujourd’hui très populaires auprès des Français". Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT Santé regrette "d’avoir appris par voie de presse l’annonce d’une négociation qu’on réclame depuis plus d’un an" et se dit "dubitative sur le contenu", s’inquiétant déjà "des déclarations de M. Véran sur les 35 heures".

Même point de vue pour Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), qui déclare dans Ouest France trouver "incohérent de vouloir faire travailler davantage des personnels qui n’ont jamais pu accéder à la réduction du temps de travail, faute d’embauches. Les 35 heures ont été déclinées à l’hôpital en 2002 sans les embauches nécessaires pour absorber leur impact, avec des RTT que (les personnels) ne peuvent pas prendre". Ce qui s’est traduit dans les hôpitaux parisiens par "1 million de journées qui ont été accumulées sur les compteurs sans qu’aucun agent n’ait pu en prendre".

Les professions hospitalières ont déjà une idée assez claire de ce qu’ils souhaitent voir apparaître dans ce nouveau plan. "Il faut par exemple une revalorisation de 300 € par mois des salaires des infirmiers, pour être au même niveau que le salaire moyen des autres pays de l’Union européenne", assure Thierry Amouroux. "Cette augmentation éviterait que les professionnels soient obligés de travailler en plus de leur horaire habituel pour s’en sortir", insiste Mireille Stivala, qui attend "une négociation avec un cadre précis et un calendrier pour permette de consulter les personnels". Elle aimerait que "personne ne soit oublié dans ce plan. Il faudra aussi penser aux personnels administratifs, aux aides-soignants, manipulateurs radios, agents de blanchisserie ou des repas, dont on ne parle jamais".

Les kinésithérapeutes espèrent ne pas être oubliés
Quid des kinésithérapeutes salariés ? Si on ne sait pas pour l’heure ce dont ils pourraient bénéficier à travers ce plan, une partie de la profession a réagi aux propos d’Olivier Véran. Dans un communiqué de presse du 17 mai, le CNOMK rappelle qu’il est "urgent et crucial de réévaluer les salaires des kinésithérapeutes hospitaliers à la hauteur de leur formation et de leur responsabilité". Pascale Mathieu constate qu’il manque aujourd’hui "3 000 équivalents temps plein dans les établissements de santé en raison notamment d’une rémunération honteusement basse, de conditions de travail toujours plus difficiles et l’absence de perspectives d’évolution". Or, ajoute-t-elle, "le rôle des kinésithérapeutes est déterminant, notamment après la réanimation. Et si ces professionnels de santé ne sont pas assez nombreux, cela peut compromettre les chances de récupérations des patients".

Elle souligne en outre que cette situation ne date pas d’hier : "En 2018, nous avions tenu notre colloque sous la thématique Sauvons la kinésithérapie salariée et nous avions soumis une série de propositions suite à la récolte des doléances des kinésithérapeutes salariés, comme l’avait alors demandé la ministre des Solidarités et de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn". Mais "tout ceci est resté lettre morte".

Au Collège national de la kinésithérapie salariée (CNKS), on considère la revalorisation des salaires de l’ensemble des soignants paramédicaux des hôpitaux privés et publiques comme "une juste revendication". Mais cela ne suffira pas pour rendre efficient le recrutement. "Il y a plusieurs autres impératifs", estime Pierre-Henri Haller, son président, parmi lesquels la nécessité de "rendre les études gratuites pour éviter le tropisme libéral sous la seule raison du remboursement de frais d’études, attribuer le grade de master au DE obtenu en 5 ans d’études, revoir le déroulement de carrière, c’est-à-dire la grille indiciaire. Le salaire étant un élément important de l’attractivité  mais pas la seule condition d’une meilleure fidélisation. Il faut également mettre en avant les pratiques avancées pour valoriser l’expertise clinique, revoir les conditions de travail, par exemple avec l’instauration de quotas de patients par kinésithérapeute ou l’instauration d’une activité connexe "temps dédié de recherche et/ou de formation clinique" qui serait incluse dans le temps de travail. Il est également fondamental de recentrer l’activité des kinésithérapeutes sur des actes à forte valeur ajoutée par la création d’assistants en soins de rééducation issus d’aide-soignants (modèle assistant de soins en gérontologie). Enfin, il s’agit de valoriser l’interprofessionnalité puisque c’est un des leviers de la qualité de vie au travail". Pour le CNKS "ces 7 impératifs sont de nature à contrer la difficulté de recrutement  observée dans certains hôpitaux, parfois improprement qualifiée de pénurie sur la base d’études interrogeant tous lieux d’exercice salarié possible et non les seules structures hospitalières publiques et privées et SSR".

Le plan Ségur attendu avant l’été
Le ministre de la santé assure que des discussions téléphoniques informelles avec les syndicats vont s’amorcer dès ce week-end. Le ministère procédera également à "un retour d’expérience au sein des hôpitaux fin mai pour recenser ce qui a fonctionné durant la crise sanitaire de la Covid-19". Cette crise a montré qu’"un raisonnement par population était plus intéressant pour l’hôpital qu’un raisonnement à l’activité (T2A)", relève Olivier Véran, qui souhaite "adapter les capacités à la charge de soins, aux besoins des patients et sortir du dogme de la fermeture des lits".

Pour permettre ces nouvelles orientations, il s’est fixé comme objectif de présenter un plan avant l’été pour pouvoir inscrire les premières mesures dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021.

Enquête du Cnks sur les postes budgétés dans les établissements hospitaliers

"Une enquête express effectuée par le CNKS entre le 8 et 17 avril auprès de 21 établissements en métropole (11C H, 7 CHU, 3 SSR) il ressort que sur 708.42 postes budgétés 624,02 postes sont couverts, ce qui signifie qu'il y a 11,91 % de postes non couverts. Une deuxième enquête en cours d’exploitation sur 49 établissements montre la même tendance d’un déficit de l’ordre de 12%". Propos de Pierre-Henri Haller, président du Cnks

 

© Ryan McVay/Istock/Getty Images Plus

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