Fatigue et fatigabilité, de la compréhension des processus au traitement
Samir Boudrahem
Kinésithér Scient 2023,0655:01 - 10/07/2023
L’individu humain remplit diverses fonctions nécessaires à chacune de ses 3 dimensions, biologique, psychologique et sociale. Pour sa survie et la perpétuation de l’espèce, 4 fonctions qualifiées d’hégémoniques sont les premières qu’il assure : la respiration (permettant au comburant, l’oxygène, d’atteindre chaque cellule de l’organisme et, à l’opposé, au dioxyde de carbone d’être rejeté dans l’atmosphère), l’alimentation (permettant d’apporter à l’organisme les différents carburants représentés par les aliments ingérés grâce aux gestes de préhension, à la mastication, la déglutition, la digestion...), la locomotion (donnant, entre autres, la possibilité de s’extraire de situations de danger) et enfin la reproduction. Ces 4 fonctions sont interdépendantes et requièrent un certains nombres d’autres telles que les fonctions nerveuses, humorales, sensorielles, cardiaques, musculaires, etc. En effet, et à titre d’exemple, il n’y a pas de « marche » sans capacités posturo-cinétique, musculaire, sensitive... de qualité.
Concernant l’entité psychologique, chacun de nous, avec l’expérience, développe plus ou moins les fonctions de la pensée, du sentiment, de la sensation ou de l’intuition.
Enfin, la dimension sociale de l’individu humain repose sur les processus de socialisation. Ces derniers mobilisent de nombreuses fonctions, dont celles en lien avec la cognition (mémoire, attention...) et celles exécutives (planification, anticipation...) mais aussi des compétences psychosociales par lesquelles les individus s’intègrent au sein de la société, en consolidant les valeurs communes, et construisent une identité sociale.
L’ensemble de toutes ces fonctions suit une certaine chronologie. En effet, grâce au processus d’ontogénèse les systèmes et appareils de l’organisme parviennent à maturité de même que leurs fonctions. À l’opposé, dès que le processus du vieillissement physiologique s’installe, les performances déclinent inexorablement. Quel que soit le moment dans la vie humaine, ce qui caractérise toute ces fonctions c’est qu’elles présentent des limites. Que l’on soit nouveau-né, enfant, adulte ou personne âgée. Ces limites sont de 2 ordres : intrinsèque et extrinsèque. Des facteurs extrinsèques, telles que l’altitude et l’humidité, peuvent être à l’origine d’une baisse des performances cardio-pulmonaires. Intrinsèquement, l’appareil cardio-respiratoire (avec tous ses constituants musculo-squelettiques, pulmonaires, etc.), n’autorise qu’un niveau de performances donné en terme de volumes d’air mobilisés ou de débits par exemple.
Il existe par ailleurs des différences genrées sur cette question des limites intrinsèques. Le phénomène de fatigabilité chez le sujet sain constitue également une limite. Ce phénomène est à considérer, au même titre que la douleur, comme un signal d’alarme visant à protéger les structures de l’organisme. En pathologie, nous pouvons observer un autre phénomène, la fatigue qui, à son tour, représente une limite. Il s’agit d’une sensation plutôt chronique et subjective, tandis que la fatigabilité est une dimension aiguë et objective. Il n’est pas juste de considérer la fatigabilité uniquement par rapport à son aspect négatif car son apparition favorise les gains en terme analytique et fonctionnel des programmes de rééducation et de réadaptation. Fatigue et fatigabilité peuvent être responsables du délitement de la qualité de vie d’un grand nombre de patients atteints d’affection appartenant aux 3 champs musculo-squelettique, neuromusculaire et respiratoire cardio-vasculaire et interne. Aussi, il nous semble pertinent de documenter ces 2 phénomènes de façon rigoureuse auprès des patients que nous prenons en soin, exactement comme nous le faisons pour la douleur. Cette dernière est à ce jour le seul symptôme qui bénéficie d’un bilan spécifique. La raison paraît évidente : c’est ce qui amène les personnes à consulter, la plupart du temps. Un bilan précis de la fatigue et de la fatigabilité permet d’identifier leurs origines (neurologiques, cognitives, psychologiques, sociales, environnementales, musculaires, ostéo-articulaires, etc.) leurs topographies, intensités, natures, temporalités... L’objectif est de saisir les processus à l’œuvre dans leur mise en place afin de définir des stratégies pour les manager, voire les contrecarrer.
Ce dossier spécial se déclinera sur plusieurs numéros. Ce premier numéro aborde d’abord ces 2 symptômes (fatigue et fatigabilité) dans le champ respiratoire, puis dans différents contextes neurologiques.