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Les kinésithérapeutes doivent-ils comprendre le contrôle coercitif et son retentissement sur la santé biopsychosociale des victimes de violence conjugale/intrafamiliale ?

Isabelle Dréan-Rivette, Andreea Gruev-Vintila
Kinésithér Scient 2024,0662:01 - 10/03/2024

Isabelle DRÉAN-RIVETTE
Magistrate
Présidente de la Commission Recherche du CNVIF

Andreea GRUEV-VINTILA
Maîtresse de conférences HDR en Psychologie sociale
UPN LAPPS EFIS-CREF
Commission recherche du CNVIF

 

 À l’intersection du physiologique, du corporel, du thérapeutique, du psychologique et du juridique, le contrôle coercitif, concept qui est au cœur de l’appréhension de la violence conjugale/intrafamiliale comme captivité plutôt qu’agression, vient interroger et repenser les pratiques de soins, y compris chez les professionnels de la rééducation et la réadaptation.

Défini comme une « ligne de conduite malveillante répandue, conçue pour s'approprier les ressources, les opportunités et les privilèges disponibles dans un espace interpersonnel ou familial. Il comprend des éléments stratégiques multiples tels que la violence physique et/ou sexuelle, l'intimidation, l'isolement, l'exploitation et le contrôle. Il dure souvent des années et « traverse l'espace social » par le harcèlement, la surveillance, le stalking, l'utilisation d'enfants et de tiers pour contrôler le comportement des victimes au travail, à l'école, sur les réseaux sociaux et les loisirs. »(1), le contrôle coercitif, dont les victimes sont majoritairement des femmes et des enfants, provoque la peur et la souffrance chroniques, appauvrit et isole les victimes et les conduit à se sentir subordonnées, dégradées, sans valeur. Même en l'absence de violence physique, par sa durée, il a des effets cumulatifs dévastateurs sur la santé et le bien-être.

Le concept de contrôle coercitif permet de penser et panser différemment le vécu et le comportement de la personne victime de violences en dépassant la notion d’emprise en ce qu’il met le focus sur le comportement de l’auteur qui prive la victime de droits humains et de ressources, parfois vitales. Ce changement de perspective déplace les questions, et donc les positionnements. La question n’est plus « Pourquoi la victime n’est pas partie ? » Elle devient « Qu’est-ce que l’auteur à fait pour l’empêcher de partir ? ».

Avant d’engager ce mouvement qui soigne cette manipulation physique, il est important pour le professionnel de première ligne qu’est le kinésithérapeute de saisir et de comprendre le mouvement psychique, parfois l’immobilité physique, présents ici et maintenant chez le patient, le plus souvent chez la patiente.

Il est important pour les kinésithérapeutes d’appréhender le retentissement du contrôle coercitif, qui s’assimile à une captivité ou une torture, le stress chronique parfois extrême qu’il produit et qui se traduit par une myriade de symptômes biopsychosociaux(2), y compris un comportement altéré, entravé, détérioré, affaiblissant la personne.

Il est tout aussi important pour les kinésithérapeutes d’avoir accès aux causes de l’état et du comportement parfois paradoxal de la personne victime de contrôle coercitif qui se traduit par un comportement imposé, contrôlé par autrui (reports et annulations répétées, par exemple).

Que la violence soit physique ou psychique, économique, parentale, ancienne ou récente, le contrôle coercitif verrouille la parole, l’empêche, l’emprisonne. Or, quand la parole ne peut s’exprimer, c’est le corps qui vient parler ; des maux visibles ou invisibles viennent se substituer aux mots indicibles et inaudibles.

Avant de toucher le patient physiquement et symboliquement, avant de manipuler son corps dans son humanité entière, il est important de penser, d’articuler, d’ajuster la parole et le mouvement de soin qui sera à l’origine de sa réadaptation, de sa rééducation, de sa réparation. En cela, la connaissance du contrôle coercitif par les kinésithérapeutes permet le soin et l’accompagnement vers la consolation, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire la réunification de la personne.

Après avoir été fracturée, fragmentée, dissociée, elle peut être réunifiée. Pour ce faire, les kinésithérapeutes peuvent développer les interactions et collaborations interdisciplinaires et interprofessionnelles orientées vers la meilleure appréhension de la situation et de l’état de ces patientes, enrichir l’approche multidisciplinaire dans la pratique, mais aussi la formation, l’enseignement et la recherche, y compris par les collaborations académiques et professionnelles nationales et internationales, qui font d’ailleurs partie des objectifs formulés par la première présidente de la jeune section 91 du Conseil National des Universités dédiée aux sciences de la rééducation et de la réadaptation, la Professeure des universités France Mourey, kinésithérapeute, objectifs repris par sa nouvelle présidente, Peggy Gatignol, Professeure des universités orthophoniste, objectifs qui se tissent avec les préoccupations de la rédaction de Kinésithérapie Scientifique, portées par sa directrice Aude Quesnot à la Commission recherche du Comité National contre les Violences Intrafamiliales (CNVIF).


 

(1) Stark E. Préface. In: Gruev-Vintila A (ed.) Le contrôle coercitif au cœur de la violence intrafamiliale. Des avancées scientifiques aux avancées juridiques. Paris : Dunod, 2023.

(2) Pour une revue de la littérature, cf. ouvrage ci-dessus.

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