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Peut-on esquisser un portrait-robot du professionnel de santé idéal ?

Samir Boudrahem
Kinésithér Scient 2024,0666:01 - 10/07/2024

Les pratiques médicales et paramédicales, qu’elles relèvent de la prévention ou du soin, sont de plus en plus orientées et encadrées par la « preuve ». Nous pouvons donc légitimement questionner la place de « l’humain » vis-à-vis de l’Evidence-based Medicine (EBM) et de l’Evidence-based Practice (EBP). En effet, si la démarche scientifique a indubitablement contribué aux progrès réalisés en matière de santé, en offrant des bases rationnelles et rigoureuses à la pratique professionnelle, il convient de se demander si la singularité, les besoins spécifiques, notamment psychosociaux, les attentes et les savoirs expérientiels des personnes concernées sont pris en compte et de quelle manière.

Le regard des professionnels de santé envers les patients dépend de divers contextes géographiques, historiques, économiques, socioculturels, matériels et politiques. Autrefois, la conception dominante dans le domaine du soin attribuait au patient un rôle totalement passif, le réduisant à une simple « entité inerte » sans capacités d’exprimer ses besoins spécifiques, sans ressources propres, sans réflexivité, sans pouvoir d’agir. Cette vision, qui n’a pas complètement disparu de nos jours, pouvait être bien accueillie par des patients qui accordaient leur entière confiance aux soignants entre les mains desquels ils se remettaient, évitant ainsi la charge cognitive requise par un rôle plus « actif ».

En prenant conscience de leurs potentiels pluriels, les soignants ont fait évoluer leurs approches et encouragé l’émergence d’une nouvelle typologie de patients, devenant de plus en plus acteurs de leur parcours de soins. Leur niveau d’exigence envers les professionnels et le système de santé en général, ne cesse de croître à mesure que leurs capacités d’agir sur leur santé et sur l’offre de soins augmentent. Ainsi, la pratique professionnelle nécessite des ajustements continus entre les préférences, les besoins spécifiques et les attentes du patient, l’expertise clinique du thérapeute et les données probantes de la science, que celui-ci doit intégrer pour accompagner au mieux les personnes concernées.

Dans cette première partie de ce numéro spécial, nous interrogerons la mobilisation du modèle de l’EBM/EBP dans les interventions auprès des populations pédiatriques. Mathilde Collet, enseignante dans plusieurs IFMK, explicite l’articulation de ce modèle avec les spécificités, besoins et attentes des jeunes et de leur famille pour des soins empreints d’humanitude.

Deuxièmement, nous nous permettons de rappeler le triptyque du modèle de l’EBM ou médecine basée sur les preuves, au croisement « des données actuelles de la science », « de l’art et l’exercice du praticien » et « des choix et préférences du patient ». Le Dr Rodolphe Charles, affilié au Département de Médecine générale de la Faculté de médecine Jacques Lisfranc de l’Université Jean Monnet, Campus Santé Innovations de Saint-Étienne, précise que les preuves ne sont pas seulement produites par les essais cliniques randomisés et les méta-analyses : elles proviennent également des travaux en sciences humaines et sociales.

Troisièmement, nous avons l’ambition de dessiner les contours du portrait-robot du professionnel de santé idéal. Enseignant dans plusieurs IFMK et chercheur associé à l’ENS de Paris, j'ai fait remarquer l’exigence de réunir un certain nombre de conditions pour que ce type de praticien, souhaité par plusieurs protagonistes, puisse réellement exister.

Quatrièmement, nous questionnons la pertinence du modèle de l’EBM dans la pratique professionnelle à domicile. Le Dr Cécile Abboudi, masseur-kinésithérapeute en secteur libéral et chercheur associé au Laboratoire Rétines de l’Université Côte d’Azur, et moi-même expliquons que le contexte d’intervention en dehors du cabinet ou de la structure hospitalière est marqué par l’incertitude due aux polypathologies parfois graves, voire urgentes, ainsi qu’à la grande précarité sociale de certains patients. Être tout terrain est la métaphore proposée pour décrire les situations imprédictibles rencontrées chez les patients, que le thérapeute doit savoir naviguer.

Enfin, pour clore ce dossier, nous soulignons le fait que l’exercice des professionnels de santé allie subtilement la science à l’art. Aurélie Savasta, masseur-kinésithérapeute en secteur libéral à Lyon et interne en médecine, propose un détour historique de la masso-kinésithérapie autrefois empirique, qui intègre désormais la démarche scientifique.

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