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Marche et double tâche : quelles applications en rééducation gériatrique ?

France Mourey
Kinésithér Scient 2013,0547:83-84 - 10/10/2013

Si la marche utilise peu de ressources attentionnelles dans les conditions normales, elle nécessite en revanche un contrôle cortical plus important lorsque surviennent des obstacles ou des changements de direction. Lors de l’avancée en âge, le contrôle postural et la marche deviennent davantage demandeurs de ressources attentionnelles.

De nombreux travaux témoignent de l’intérêt porté par les chercheurs aux liens qui unissent marche et mécanismes attentionnels, en particulier dans le cadre de la prédiction de la chute. Les structures neuro-anatomiques concernées sont le générateur spinal de la marche, les stuctures supra-spinales et en particulier sous-corticales, et un contrôle complexe assuré par les fonctions exécutives.

Les fonctions exécutives englobent les compétences cognitives qui sont responsables de la planification, de l’organisation et de la synchronisation des actions. Au cœur des recherches actuelles sur le vieillissement et les démences, elles ont, entre autres, le rôle de répartir les ressources attentionnelles entre deux tâches. Il a pu être montré que certains troubles de la marche sont reliés à un déficit des fonctions exécutives. Il s’agit dans un premier temps de comprendre les mécanismes du paradigme de double tâche et, secondairement, les modifications au cours du vieillissement.

La double tâche se définit par la réalisation simultanée de deux tâches, l’une dite « primaire » et l’autre dite « secondaire ». Dans le cas d’un paradigme mettant en jeu la marche et une autre tâche, l’interférence repose sur l’hypothèse de la mise en jeu conjointe de l’attention. La tâche primaire est alors la tâche dite « attentionnelle » et la tâche secondaire est représentée par la marche.

Les inférences observées sont des modifications des performances de l’une ou des deux tâches qui sont mesurées en comparant les performances sous condition de simple et de double tâche.

Il a été observé que les modifications des paramètres de marche sous double tâche dépendent du type de tâche attentionnelle choisie. Dans une population spécifique de sujets âgés, Beauchet et coll. [1] ont démontré qu’une tâche cognitive de décompte induisait une augmentation de fréquence de latérodéviation par rapport à une tâche de fluence verbale. Le décompte peut être assimilé à une tâche de mémoire de travail plus directement en rapport avec les fonctions exécutives que la fluence verbale, qui est une tâche de mémoire sémantique.

La variabilité des caractéristiques temporo-spatiales du cycle de marche, mesurées par système d’analyse du mouvement, constitue en laboratoire un critère d’évaluation déterminant de la double tâche.

Les études [2-6] menées chez les sujets âgés en double tâche ont essentiellement pour objectif soit de détecter les troubles cognitifs, soit d’évaluer l’impact sur le risque de chute.

En pratique

Les MK sont amenés à utiliser la double tâche dans l’évaluation et dans les techniques de rééducation.

Évaluation

Bien qu’aucun test clinique ne soit totalement validé à ce jour, il est recommandé d’apprécier les effets d’une tâche cognitive sur l’automatisme de marche :

- épreuve sur 10 m avec tâche de fluence verbale ou décompte : il est demandé à la personne de marcher sur une distance de 10 m (matérialisée au sol), tout en énumérant des noms de fleurs ou d’animaux ou de décompter en arrière de 2 en 2 ou de 3 en 3. On peut observer l’instabilité, les déviations, le ralentissement ou les arrêts. On peut mesurer la vitesse de marche avec et sans double tâche ;

- Timed up and go test avec double tâche : le test assis-debout, marcher 3 m et retour en position assise peut être réalisé de la même manière sans et avec double tâche.

Rééducation

Les patients âgés fragiles, chuteurs et présentant des troubles de la marche peuvent bénéficier d’exercices en double tâche, de même que les patients présentant des troubles cognitifs.

L’efficacité de l’entraînement en double tâche a été retrouvée chez des sujets âgés présentant des troubles d’équilibre, chez les parkinsoniens et chez les sujets déments.

L’objectif est d’améliorer l’automatisme de marche. Le travail peut commencer en équilibre statique les yeux ouverts ou fermés en manipulant un objet, puis en position tandem. Puis, en progression au cours de la marche.

- Marcher en portant un plateau sur lequel est posé un verre rempli d’eau permet à la fois de supprimer l’afférence visuelle directe sur le déplacement des pieds et de solliciter l’attention sur le fait de maintenir l’horizontalité du plateau (fig. 1). L’exercice peut être compliqué par le passage d’obstacle (fig. 2) ;
- se déplacer en manipulant un objet ou en rattrapant une balle ;
- marcher en parlant : le kinésithérapeute incite la personne à répondre à des questions simples ou à faire un récit tout en marchant ;
- marche avec tâche cognitive : fluence verbale ou décompte (fig. 3).

Figure 1
Le passage assis-debout en maintenant horizontal
le plateau et le verre requiert un mécanisme attentionnel renforcé
Figure 2
La marche avec plateau
et passage d'obstacle amène une privation d'information sensorielle, nécessitant
des efforts attentionnels
Figure 3
Le décompte en arrière
est associé à une marche
avec changement de direction

Conclusion

Les modifications de la marche de la personne âgée sous double tâche ont été reliées à un risque accru de chute. Ces modifications peuvent servir de support au développement de nouvelles stratégies de rééducation.

La sollicitation de l’attention chez un sujet âgé présentant des troubles de la marche doit cependant respecter une progression. En effet, une personne ayant peur de la chute en début de rééducation a besoin d’utiliser son attention et un contrôle visuel permanent. Cette phase doit être respectée au risque de majorer l’appréhension.

La double tâche permet de mettre l’accent sur les relations étroites qui existent entre motricité et état cognitif. L’entraînement en double tâche trouve toute sa place chez des patients à la phase initiale d’une démence. Le travail du kinésithérapeute peut alors s’articuler avec l’évaluation neuro­psychologique et l’entraînement cognitif.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Beauchet O, Berrut G. Marche et double tâche : définition, intérêts et perspectives chez le sujet âgé. Psychologie & Neuropsychiatrie du Vieillissement 2006;4(3):215-25.
[2] Koskas P, Saad S, Belqadi S, Drunat O. Analyse clinique au cours d’une marche simple et avec une double tâche chez une population de sujets âgés ambulatoires consultant en gériatrie. Rev Neurol 2010;166(3):321-7.
[3] Development of a clinical measure of dual-task performance in walking: Reliability and preliminary validity of the walking and remembering test. Journal of Geriatric Physical Therapy 2009;32(1):2-9.
[4] Schwenk M, Zieschang T, Oster P, Hauer K. Dual-task performances can be improved in patients with dementia. A randomized controlled trial. Neurology 2010;74:1961-8.
[5] Silsupadol P, Lugade V, Shumway-Cook A, van Donkelaar, P, Chou LS, Mayr U, Woollacott MH. Training-related changes in dual-task walking performance of elderly persons with balance impairment: A double-blind, randomized controlled trial. Gait & Posture 2009 Jun;29(4):634-9.
[6] Vaillant J et coll. Modification des performances au Timed « Up & Go » test et à l’appui monopodal par l’addition d’une charge cognitive : valeur discriminative des résultats. Ann Réadapt Méd Phys 2006 Fév;49(1):1-7.

© F. Mourey


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