Leur famille respective évoluait dans le même univers du textile, dans la petite ville suisse de Winterthur, et leurs villas familiales n’étaient guère éloignées. Aussi fût-il facile à Arthur Hahnloser, qui venait de se détourner de l’industrie du coton pour faire des études d’ophtalmologie, de rencontrer l’élégante Hedy Bühler, qui terminait des études de dessin et de peinture. Lui avait 28 ans et était déjà surnommé “le médecin des pauvres”. Elle a trois années de moins. Ils se marièrent en 1898.

Leur passion commune pour les arts les amène très vite à nouer des relations amicales suivies avec les peintres Félix-Édouard Vallotton et Henri-Charles Manguin. Peu à peu, à partir de 1908, elle les conduit à acquérir directement auprès des artistes des œuvres aux signatures les plus fameuses et les plus prometteuses. C’est ainsi que, dans la villa Flora héritée de la famille de Hedy, se constitue l’une des plus fabuleuses collections privées de tous les temps. Un ensemble de chefs-d’œuvre qui témoigne du goût très sûr du jeune couple, ainsi que le prouvent les quelque 75 toiles de maîtres et sculptures réunies au musée Marmottan Monet de Paris.

Hahns R. Hahnloser, fils des collectionneurs, photographié à la Villa Flora, avec des œuvres de Ferdinand Hodler décorant les murs, vers 1916.

Un repaire d’artistes
Pierre Bonnard, Paul Gauguin, Georges Rouault, Paul Cézanne, Giovanni Giacometti, Ferdinand Holder, Aristide Maillol, Édouard Manet, Henri Matisse, Odilon Redon, Pierre-Auguste Renoir, Félix-Édouard Vallotton, Vincent van Gogh, Henri de Toulouse-Lautrec et Édouard Vuillard, voici la liste de l’époustouflante collection réunie par ces amateurs d’art entre 1905 et 1936 ! Trois décennies de contacts dans les milieux artistiques (parisiens le plus souvent) et d’acquisitions sans jamais se tromper, allant d’un génie à un autre, avec la même passion partagée.

Pour le couple, c’est une vie pour l’art mais aussi au milieu des peintres. La Villa Flora de Winterthur, aujourd’hui agrandie et aménagée en musée, était devenue en quelques années un véritable repaire d’artistes. Les murs de toutes les pièces, jusqu’à la salle d’eau, étaient recouverts de toiles aux signatures fameuses. Et les membres de la famille Hahnloser-Bühler ont eu droit à quelques portraits réalisés à la commande.

Pendant qu’Arthur continuait à soigner tout le monde, y compris ceux qui ne pouvaient pas payer, la fortune des deux familles servait à acquérir toujours plus de toiles et de sculptures, il est vrai à une époque où personne ne pouvait prévoir la cote vertigineuse que certains tableaux allaient atteindre.

Une villa ouverte au public
Ainsi furent rassemblés sous le même toit, dans une maison bourgeoise des quartiers chics de Winterthur, des œuvres aussi rares que L’embarcadère de Cannes de Bonnard, le Portrait de l’artiste de Cézanne, Les anémones de Redon, Amazone de Manet ou encore Le chapeau violet de Vallotton, pour ne citer que quelques-unes des toiles magistrales présentées à Paris.

L’exposition vaut autant pour les chefs-d’œuvre qu’elle réunit que pour l’extraordinaire destin de ce jeune couple, considéré comme l’un des plus engagés et des plus passionnés du début du 20e siècle, selon Marianne Mathieu, du musée Marmottan Monet et Angelika Affentranger-Kirchrath, conservateur de la Villa Flora, commissaires de cette exposition.

Arthur Hahnloser est mort dans sa villa d’hiver de Cannes en 1936 et Hedy lui a survécu jusqu’en 1952.

La Villa Flora, ouverte au public par leurs descendants depuis 1995, a conservé sur ses murs de nombreuses peintures, dont quelques nus audacieux qui ont longtemps conduit à interdire l’accès de certaines pièces  aux enfants.

Paul Cézanne, “Plaine provençale”, 1883-1885. Huile sur toile, 58,5 x 81 cm – Hahnloser/Jaeggli Stiftung, Winterthur.	Édouard Manet, “Amazone”, 1883. Huile sur toile, 114 x 86 cm – Hahnloser/Jaeggli Stiftung, Winterthur.

©  Hahnloser/Jaeggli Stiftung, Winterthur. Photo Reto Pedrini, Zürich
©  Hahnloser/Jaeggli Stiftung, Winterthur. Photo Reto Pedrini, Zürich
© Archives Villa Flora
© Hahnloser/Jaeggli Stiftung, Winterthur. Photo Reto Pedrini, Zürich