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Réforme du dpc :
Où va-t-on ?

Jean-Pierre Gruest
Kiné actualité n° 1452 - 23/06/2016

Mis en place le 1er janvier 2013, le développement professionnel continu (DPC) a affiché un certain nombre de dysfonctionnements qui ont incité le gouvernement à le réformer, notamment en termes de gouvernance, avec la création au 1er juillet de l'Agence nationale du DPC (ANDPC). Qu'est-ce qui va changer ? Les problèmes récurrents du financement et de la qualité de l'offre de formation seront-ils résolus ? Éléments de réponse.

Le 1er juillet, l’Agence nationale du DPC (ANDPC) remplacera officiellement l’organisme gestionnaire du DPC (OGDPC), comme prévu par l’article 144 de la loi de santé du 26 janvier 2016. Ce changement symbolique vise à marquer la rupture avec l’ancien dispositif qui, très vite après la mise en œuvre du DPC, a montré ses limites, comme l’a souligné l’Inspection générale des Affaires sociales (Igas) dans un rapport d’avril 2014 [1]. Pour Michèle Lenoir-Salfati, chargée d’installer l’ANDPC [2], “le DPC comportait des avancées de principe extrêmement fortes et structurantes, mais plusieurs vices de conception ont empêché la concrétisation pleine de ces ambitions : un objet mal identifié, un dispositif suradministré, une procédure de contrôle des organismes et des programmes n’apportant aucune garantie en matière de qualité de l’offre, une gouvernance complexe et parfois confuse et, bien sûr, le questionnement récurrent sur le financement de l’obligation de formation !” Au point de devoir tout chambouler ?

“Des ajustements nécessaires”
“Certains ajustements étaient nécessaires, notamment en ce qui concerne l’évaluation des formations, mais cela ne méritait pas une réforme en profondeur, qui intervient bien trop tôt”, estime Stéphane Fabri, secrétaire général en charge de la formation continue à la FFMKR. Pour Sébastien Guérard, premier secrétaire général de la FFMKR, “on aurait pu faire mieux en étant davantage à l’écoute de certaines revendications des organisations professionnelles, qui sont faiblement représentées au sein du nouveau dispositif. À aucun moment la Fédération n’a été consultée, à l’inverse des syndicats de médecins. Ce qui pose un vrai problème !” Un avis partagé par Christian Chatry, directeur de l’Institut national de la kinésithérapie (INK), qui, outre le fait que “les syndicats professionnels sont réduits à siéger dans des instances où ils sont noyés dans la masse avec d’autres professions”, craint que le nouveau dispositif “n’augmente encore les complications en matière de gouvernance” (lire encadré ci-dessous).

Gouvernance de l’ANDPC

Un mille-feuille à six instances

- Le Haut Conseil du DPC [2].
- Le comité d’éthique : il assure une fonction d’aide, de conseil et de prévention des conflits d’intérêts.
- Le comité de suivi des conventions passées avec les organismes collecteurs agréés des salariés.
- Les sept commissions scientifiques indépendantes (CSI)
- Le conseil de gestion du DPC : il répartit entre les sections professionnelles les sommes affectées par le budget de l’ANDPC au financement du DPC des professionnels de santé libéraux et salariés des centres de santé.
- Les dix sections professionnelles : elles mettent en œuvre et assurent le suivi pour chaque profession conventionnée des enveloppes financières qui leur sont dévolues par le conseil de gestion.

Le lancement du processus de nomination des membres des instances est en attente de la publication du décret en Conseil d’État et de l’approbation par l’assemblée générale du GIP (Groupement d’intérêt public) de la convention constitutive.
Un rétroplanning a été établi de sorte que toutes les instances soient installées en septembre prochain.

Un rôle accru des conseils nationaux professionnels
Si les décrets d’application ne sont pas encore parus au Journal officiel (ils doivent l’être d’ici fin juin), on sait déjà via le projet de texte soumis pour avis au Haut conseil des professions paramédicales, le 10 mars, que le DPC devient une démarche globale “comportant des actions de formation continue, d’analyse, d’évaluation et d’amélioration des pratiques et de gestion des risques”. Une mesure qui vise à redéfinir le périmètre de l’obligation sachant que, jusqu’alors, comme l’avait déploré l’Igas, seuls les objectifs du DPC étaient précisés, le contenu, lui, ne faisant l’objet d’aucune définition dans la loi ou son décret d’application. Autre nouveauté : l’obligation annuelle devient triennale. Il reviendra aux conseils nationaux professionnels (CNP) de chaque profession ou, en leur absence, aux collèges de bonnes pratiques, de proposer des orientations prioritaires de DPC et un parcours pluriannuel. “L’objectif était de redonner la main aux professionnels sur le plan scientifique et pédagogique, pour des programmes très orientés cœur de métier en vue d’améliorer la qualité et la sécurité des soins”, explique Monique Weber, actuelle directrice de l’OGDPC, qui est sur le départ [3].

Les masseurs-kinésithérapeutes n’ayant pas de CNP, il reviendra vraisemblablement au Collège de la masso-kinésithérapie (CMK) de remplir ce rôle. “Le Conseil d’État, lors de l’examen du projet de décret, a mis en exergue le caractère très hétérogène des CNP d’une profession à l’autre et le fait que leurs missions et fonctionnement n’étaient pas clairement définis. Le CMK remplira-t-il tous les critères exigés pour être reconnu comme tel ?”, s’interroge Sébastien Guérard. “Nous serons particulièrement attentifs à la composition des CNP, ainsi qu’à leur financement, qui reste imprécis”, renchérit Stéphane Fabri.

Des modalités de contrôle de l’offre renforcées
L’un des principaux problèmes régulièrement pointés du doigt par les professionnels de santé était la qualité très disparate des programmes de DPC. L’un des objectifs de la réforme est d’y remédier. Un enjeu majeur, pour Michèle Lenoir-Salfati, consciente que “la capacité à garantir la qualité de l’offre de DPC constitue une attente forte de l’environnement professionnel et que, à ce titre, il est capital que les nouvelles modalités d’évaluation puissent se mettre en place dès l’installation de la nouvelle structure”. “Jusqu’à présent, ce sont les organismes de formation, et non les formations elles-mêmes, qui sont agréés DPC, sur la base d’un programme vitrine. On ne peut qu’apprécier a posteriori la qualité de ce que proposent les organismes”, rappelle Stéphane Fabri, qui trouve “insupportable d’observer impuissant notre précieuse formation continue partir à la dérive”, minée “par les excès et les abus”.

Pour garantir la qualité de l’offre, le nouveau dispositif prévoit que les organismes de DPC ne pourront plus s’enregistrer a priori en tant que tel, avec l’instauration d’une sélection en amont par les sept commissions scientifiques indépendantes (CSI). Celles-ci auront également pour tâche d’évaluer a priori et a posteriori les actions et programmes mis en œuvre et éligibles à un financement de l’ANDPC, en vérifiant leur conformité avec les critères de qualité retenus par le Haut Conseil du DPC. “Cette vérification se fera selon un échantillonnage aléatoire des programmes”, explique Sébastien Guérard, puisqu’il est humainement et matériellement impossible de passer au crible les dizaines de milliers de programmes proposés. De quoi en finir avec les formations dites “exotiques” à vocation commerciale ? “On pourrait penser que oui mais en y regardant de plus près, force est de constater qu’une fois encore, les moyens, notamment humains, ne sont pas au rendez-vous pour que ces programmes soient évalués dans de bonnes conditions”, dénonce Stéphane Fabri. “Comment seront décidés les contrôles ? À quel moment ? Quelles seront les sanctions ?”, s’interroge Christian Chatry. “Pour l’heure, nous n’avons aucune certitude !”

Chiffres clés

Le DPC des masseurs-kinésithérapeutes

- 32 007 comptes personnels créés sur www.mondpc.fr
- 12 038 kinésithérapeutes se sont inscrits à un programme de DPC en 2016.
- 1 541 organismes et 25 211 programmes agréés DPC, dont 6 010 pour la seule année 2016.
- 25 % des programmes sont monocatégoriels et 75 % pluriprofessionnels.
- 55 % sont présentiels et 42 % mixtes.
- Orientations nationales les plus proposées : pathologies de l’appareil locomoteur (662 programmes), douleur (360), dysfonctionnement de la sphère pelvienne (171) et kinésithérapie pédiatrique (126).
- Géographiquement, 20,5 % des sessions sont organisées en Île-de-France, 13,5 % en Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées et 13,2 % Auvergne Rhône-Alpes.

Chiffres OGDPC au 1er juin 2016.

Pas de CSI pour les masseurs-kinésithérapeutes
Tous trois regrettent surtout que la DGOS ait fait la sourde oreille aux revendications de la profession qui, à plusieurs reprises, a réclamé sa propre CSI, pour avoir la main sur la qualité des formations en masso-kinésithérapie.

Résultat : les masseurs-kinésithérapeutes sont aujourd’hui noyés dans une CSI qui regroupe professions paramédicales et préparateurs en pharmacie, avec 38 représentants désignés par les collèges de bonnes pratiques, associations et société savantes, dont trois masseurs-kinésithérapeutes au sein de la sous-section des métiers des soins de rééducation. “Concrètement, cela signifiera que ces derniers auront à se prononcer sur la qualité et la pertinence d’un programme d’une autre profession pour laquelle ils n’ont aucune compétence… et inversement. Ce qui risque de conduire à des impairs”, explique Sébastien Guérard [4], qui ne comprend toujours pas qu’“une profession qui compte quelque 85 000 professionnels ne puissent pas avoir sa propre CSI !”

Le “document de traçabilité” : “une usine à gaz”
Le contrôle du respect de l’obligation de formation sera également renforcé, avec la mise en place d’un “document de traçabilité”, en phase d’élaboration avec le concours des représentants des CNP et collèges de bonnes pratiques. Chaque professionnel de santé aura le sien, quel que soit son statut et son mode d’exercice. Ce document électronique lui permettra de conserver une trace de toutes les actions de DPC effectuées au fil de sa carrière. Il sera hébergé par l’ANDPC sur une plateforme dématérialisée, mais c’est le professionnel qui sera responsable de sa mise à jour et qui, seul, y aura accès pour le consulter ou l’alimenter.

Pour le premier secrétaire général de la FFMKR, qui a participé le 8 juin à la première réunion de travail sur cet outil (“au titre du CMK, et non du syndicat”), ce sera “une véritable usine à gaz par rapport à la procédure de la formation continue conventionnelle, par exemple”. Outre un jargon hyper technique qui pourrait décourager le professionnel de santé, “il va complexifier le dispositif. Demain, pour suivre une formation, il faudra s’inscrire à la fois auprès de l’organisme de formation, de l’ANDPC, voire du FIF PL pour une prise en charge complémentaire. Et une fois la formation effectuée, remplir son portfolio (c’est ainsi qu’il avait initialement été baptisé), le soumettre au CMK, ainsi qu’à l’Ordre qui devra contrôler l’engagement du professionnel dans une démarche de DPC une fois tous les cinq ans”.

La formation et l’EPP de nouveau dissociées
Stéphane Fabri souligne que “le nouveau dispositif permet de dissocier l’enseignement cognitif de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), le professionnel pouvant réaliser les deux au sein d’un même organisme ou, de façon indépendante, dans deux organismes distincts”. Une liberté nouvelle qui, pour lui, “sera plus complexe que bénéfique”.

“Cette mesure permet de reconnaître l’université comme organisme de formation DPC”, poursuit Sébastien Guérard, s’appuyant sur le projet de décret qui stipule que “le professionnel pourra faire faire valoir toutes les formations organisées par l’université qu’il aura suivies”. “Or la qualité des formations universitaires n’est pas nécessairement assurée, un DU sur tel ou tel sujet n’ayant pas la même valeur dans toutes les facultés”, estime-t-il.

Budget : une question de volonté politique
La question du financement de l’obligation de DPC est l’autre difficulté majeure qui cristallise le mécontentement des professionnels de santé. Depuis le début, les budgets alloués sont insuffisants, avec des enveloppes consommées de plus en plus précocement. Et ce ne sont pas les dix millions d’euros supplémentaires accordées en 2016 aux libéraux de santé (dont huit rien que pour les médecins…) qui y changeront grand-chose. La réforme permettra-t-elle d’apporter une solution pérenne à ce problème récurrent pour que tous les professionnels de santé puissent se former ? Ces derniers verront-ils leur budget annuel revu à la baisse ? “Pour l’heure, le forfait annuel de 988,80 € [5] par masseur-kinésithérapeute est toujours d’actualité”, rassure Sébastien Guérard. Mais d’autres craignent qu’il soit lissé sur trois ans. S’il estime que “le passage à une obligation triennale permettra de résoudre en partie ce problème”, Christian Chatry juge surtout que “les problèmes budgétaires sont surtout d’ordre politique : si l’État a vraiment la volonté de garantir une meilleure qualité et sécurités des soins, il se doit d’instaurer un financement en adéquation avec les besoins !” 

[1] À consulter en cliquant ici
[2] Lire aussi p. 6-7.
[3] Elle est officiellement en poste jusqu’au 30 juin.
[4] En moyenne, une CSI émet 35 % d’avis favorables au moment d’évaluer les organismes de formation continue, contre 62 % pour la CSI des paramédicaux.
[5] Ce montant comprend le paiement de l’organisme de formation et l’indemnisation éventuelle du masseur-kinésithérapeute. L’enveloppe réellement disponible pour un masseur-kinésithérapeute est de 448,80 €.

© john sheperd/Istockphoto

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